miércoles, 15 de noviembre de 2023

En Espagne, une volte-face socialiste comme une trahison     


   


                                              (por Carlos Miranda)

Publicado en el diario suizo francófono

LE TEMPS, el 15-11-2023

 

Après la mort de Franco en 1975

et la fin de la dictature, le bon

sens a gouverné l’Espagne. Les

premières années de la démocratie

furent celles de nombreux

compromis entre la droite, la

gauche et certaines formations

nationalistes basques et catalanes.

La Constitution de 1978

a établi une monarchie parlementaire

où les régions, appelées

Autonomies (équivalentes

aux Länder allemands et aux

cantons suisses), ont une large

capacité d’autogestion, dans le

cadre unitaire de l’Espagne.

Après la période dite «de la

transition», période allant

de la dictature à la démocratie

constitutionnelle (1975-

1978), les modérés des deux

grandes familles politiques se

sont succédé à la tête du pays.

Adolfo Suarez, un conservateur

modéré, et Felipe Gonzalez,

un social-démocrate également

modéré, ont symbolisé

et incarné cette période. Les

conservateurs de l’UCD d’abord

puis du Parti populaire (PP), et

les socialistes du Parti socialiste

ouvrier espagnol (PSOE) se sont

succédé au gouvernement. Ils

ont modernisé l’Espagne et fait

de ce pays un membre de poids

de l’Union européenne. Cependant,

les nationalistes basques

et catalans n’ont pas respecté les

accords et l’esprit de la «transition

». Ils ont joué la carte de l’affirmation

culturelle et du nationalisme,

nourrissant ainsi les

sentiments séparatistes.

Paroxysme de cette stratégie

destructrice: le «référendum

d’indépendance catalan» de

2017. Un vote inconstitutionnel,

unilatéral et illégal. Du coup,

le statut d’autonomie catalane

a dû être supprimé pendant

quelques mois par une décision

parlementaire qui a uni PP et

PSOE, au nom du respect de la

Constitution. C’est la dernière

fois que ces deux partis ont voté

ensemble sur un sujet d’intérêt

supérieur pour l’Etat. Traduits

en justice, les principaux

dirigeants indépendantistes ont

été condamnés. Certains se sont

aussi enfuis, à l’image de Carles

Puigdemont. Alors président de

la Generalitat de Catalunya, le

gouvernement régional, le plus

grand responsable du référendum

illégal a fui en Belgique du

côté de Waterloo.

Depuis qu’il a pris les rênes du

Parti socialiste en 2014, Pedro

Sanchez a toujours refusé de

conclure des accords avec la

droite traditionnelle conservatrice,

le Parti populaire (PP). Il

a privilégié des alliances avec

les communistes, l’extrême

gauche, les héritiers politiques

des terroristes de l’ETA basque

(Euskadi ta Askatasuna) ou

encore des partis indépendantistes

(même ceux à idéologie

conservatrice) pour former des

coalitions face au Parti populaire.

Ce même PP qui a gagné

les élections anticipées de juillet,

mais sans majorité absolue.

Sanchez est cette fois prêt à

faire des concessions à des partis

prônant dans leurs programmes

électoraux l’abolition

de la Constitution espagnole. Ils

nient ainsi les principes issus

de la transition post-franquiste.

C’est pourtant bien cette «transition

», et l’union nationale qui

la portait, qui ont fait de l’Espagne

un pays stable et pacifié.

Ces concessions sont même

contraires au programme électoral

du PSOE. Pour beaucoup

de votants socialistes, cela équivaut

à une trahison.

Le point le plus controversé

concerne l’amnistie au bénéfice

de Carles Puigdemont et de

ses amis, pourtant condamnés

par la justice. Une amnistie en

échange d’aucune concession

sur le fond. Un simple marchandage

en contrepartie de sept

voix au Congreso de los Diputados.

Sept voix pour que Sanchez

survive politiquement.

Sans cet appui de Puigdemont,

de nouvelles élections devraient

avoir lieu, car Sanchez refuse

toute idée de grande coalition.

Le leader des conservateurs

Alberto Nuñez Feijoo a pourtant

fait une offre. Mais Sanchez ne

serait plus à la tête du gouvernement.

Il l’a donc refusée.

Pour de nombreux membres

du PSOE, si pour rester au pouvoir

le Parti socialiste actuel

doit abandonner ses principes

éthiques et l’esprit de la Constitution

de 1978, le prix est trop

élevé. Des figures du socialisme

espagnol comme Felipe

Gonzalez, Alfonso Guerra et

bien d’autres critiquent à voix

haute cet exercice de survie

politique de Sanchez. Ce dernier

assurait encore avant les

élections de juillet qu’il refuserait

d’accorder l’amnistie aux

Catalans indépendantistes, au

nom de la Constitution. Il y est

aujourd’hui favorable, pour

quelques suffrages de plus.

Quelle volte-face indigne!

Les décisions de Pedro Sanchez

pourraient aussi finir par

affaiblir le socialisme comme

en Grèce, en Italie ou en France.

Ce serait aussi un désastre pour

l’Espagne. Depuis la mort de

Franco, le PSOE est l’un des

deux piliers, avec les conservateurs

du PP, soutenant la

monarchie parlementaire espagnole.

Sans les socialistes, l’actuel

régime constitutionnel

s’écroulerait. Dans un monde

toujours plus incertain, qui peut

sérieusement souhaiter une

déstabilisation institutionnelle

de cette ampleur?

Les conservateurs ont aussi

de sérieux problèmes en perspective.

S’ils n’arrivent plus,

à terme, à obtenir une majorité

par leur propre force, la

seule option qui restera sera

celle d’accepter les votes d’une

extrême droite qui donne des

frissons à ceux qui n’ont pas

oublié Franco. La droite conservatrice

du PP risque de ne plus

jamais pouvoir gouverner dans

un pays très divisé.

L’Espagne n’aura de futur que

si elle revient au consensus

entre la droite et la gauche sur

les grands défis du pays. Dans

une séquence historique aussi

compliquée que l’actuelle, elle

ferait bien de s’inspirer de la

méthode suisse ou allemande en

intégrant les principales forces

politiques au sein du gouvernement.

Les deux partis principaux

sont condamnés à s’entendre

sur des questions touchant à

l’unité du pays: un référendum

d’indépendance d’une partie

de son territoire que l’actuelle

Constitution ne permet pas, une

réforme redéfinissant les compétences

des Autonomies et la

solidarité entre elles, la transformation

du Sénat en Chambre

territoriale comme en Suisse.

Sur certaines de ces questions,

une formule de deux majorités,

régionale et nationale, devrait

s’imposer.

L’amnistie exigée par Puigdemont

le blanchira, sans aucune

contrepartie à l’exception de ses

sept votes. L’illégalité constitutionnelle

sera légitimée. Dans

les années qui viendront, c’est

une épée de Damoclès qui planera

sur les institutions espagnoles.

Les indépendantistes

amnistiés recommenceront.

Ils défieront la Constitution.

Ils doubleront même la mise

en soulignant que l’amnistie

prouve qu’ils avaient raison, et

que ceux qui ont fait respecter

la Constitution avaient tort. Ce

n’est ni sérieux ni bon pour le

futur de l’Espagne. C’est même

un réel danger pour la stabilité

du pays et de l’Union européenne.

* Membre du Parti socialiste avant la

mort de Franco et jusqu’en 2019, Carlos

Miranda a servi comme ancien

ambassadeur d’Espagne (notamment à

la Conférence du désarmement à

Genève, à Londres et à l’OTAN).